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Le Soudan, tiraillé entre les intérêts des puissances voisines

C’est sans doute le pays qui a le plus à perdre dans la crise actuelle au Soudan. Soutien de l’armée régulière, l’Égypte, avec ses 1 300 km de frontières communes, est en première ligne du chaos qui règne chez son voisin et menace sa sécurité nationale. 

Depuis 2019 et la chute du régime militaro-islamiste du dictateur Omar el-Béchir, la stabilité du Soudan est une priorité pour Le Caire, qui multiplie les aides financières et humanitaires à destination de Khartoum. 

Pour le numéro un soudanais, le régime autoritaire du président égyptien fait figure de modèle à suivre. Le général Burhane a d’ailleurs suivi des études dans la même école militaire que le maréchal Sissi, au Caire.

Ces dernières années, l’Égypte et le Soudan, qui entretiennent des relations ambivalentes en raison de conflits territoriaux, ont renforcé leur coopération militaire en multipliant les exercices conjoints. Le Caire cherche notamment à s’attirer les bonnes grâces du pouvoir soudanais sur le dossier du grand barrage de la Renaissance, un méga-projet de retenue d’eau voulu par l’Éthiopie mais qui, selon l’Égypte, menace les ressources en eau des pays en aval du fleuve.

Au nord, « l’Égypte, qui se verrait bien en puissance coloniale, soutient l’armée », pour préserver sa part d’eau du Nil, explique à l’AFP Jehanne Henry, avocate américaine des droits humains et spécialiste du Soudan. Au sud, l’Éthiopie « se pose contre Le Caire », là aussi à cause du partage du débit du Nil, et donc pourrait prendre position en faveur des Forces de soutien rapides (FSR), les paramilitaires dirigés par Hemedti

Aux yeux de l’Égypte, Hemedti apparaît donc comme un élément perturbateur. Dans le conflit actuel, le Caire semble d’ailleurs loin d’être un acteur neutre, comme l’a montré la présence de militaires égyptiens sur la base aérienne de Méroé, dans le nord du pays, attaquée au début des hostilités par les FSR.

Le jeu des alliances

Si les deux généraux soudanais ont fait front commun lors du coup d’État d’octobre 2021 qui a évincé les civils du pouvoir, les deux hommes entretiennent en réalité une forte rivalité depuis plusieurs années, cultivant chacun de leur côté des alliances à l’international. 

Si le général Burhane semble avoir clairement les faveurs de l’Égypte, Hemedti est perçu comme l’homme des Émirats arabes unis. Grâce au contrôle d’une large partie des mines d’or illégales du pays, les FSR alimentent un fabuleux trésor de guerre et d’influence auprès des pays du Golfe mais également de la Russie, via la milice privée Wagner

Les Émirats arabes unis, plus grands investisseurs parmi les pays du Golfe, cherchent à accroître leur influence en s’appuyant les réseaux du clan Hemedti, rappelle RFI. Car le Soudan, troisième producteur mondial d’or, est non seulement riche en minerais mais il dispose aussi d’un fort potentiel agricole. Premier exportateur de gomme arabique, produit très prisé de l’industrie agro-alimentaire, le pays joue également un rôle central dans l’exportation d’animaux d’élevage dans la région.

Hemedti a su également forger des liens puissants à l’occasion de la guerre au Yémen contre les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran. En 2015, les FSR ont notamment fourni un contingent de 30 000 à 40 000 hommes à la coalition arabe emmenée par l’Arabie saoudite.

La crainte d’un scénario libyen

Pris entre les feux de deux factions armées qui luttent pour le pouvoir et l’accaparement des ressources, épicentre d’un jeu d’influence international entre pays rivaux, le Soudan va-t-il connaître le même sort que la Libye ? 

« Beaucoup de ces soutiens internationaux peuvent être ambivalents et les choses sont encore mouvantes », nuance Marc Semo, invité de « On va plus loin » sur France 24. « Hemedti a certes des liens forts avec les Émirats et Riyad, mais l’Arabie saoudite a aussi des liens avec le général Burhane via l’Égypte. Pour le moment, on n’a pas encore basculé dans une guerre par factions », ajoute le rédacteur en chef adjoint « Débats et idées » du Monde.

Les voisins du Soudan et les puissances régionales semblent en effet vouloir trouver en priorité une issue négociée pour préserver leurs intérêts. La semaine dernière, Abdel Fattah al-Sissi s’est notamment entretenu au téléphone avec le président émirati Mohamed ben Zayed al-Nahyan, pour tenter de trouver une voie d’apaisement entre les deux généraux.

« Ces pays ne veulent pas tout miser sur l’un des deux chevaux par crainte d’être privés de marchés ou d’influence politique. Ils veulent avant tout la stabilité du Soudan”, analyse Baptiste Fallevoz, chroniqueur international de France 24.

Cependant, en cas de propagation des violences à tout le pays, la crainte d’un effondrement de l’État soudanais n’est pas à écarter. « Au vu de la place stratégique du Soudan, au cœur de l’Afrique, la déflagration touchera tous ses voisins en cas d’embrasement », prévient Marc Semo.

« Les sept pays frontaliers du Soudan ont tous été impliqués lors de la dernière décennie dans des conflits ou des troubles civils importants », a relevé mardi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. « La lutte de pouvoir au Soudan ne menace pas seulement l’avenir du pays. Elle allume une étincelle qui pourrait exploser au-delà des frontières, causant d’immenses souffrances pour des années, et faisant reculer le développement de décennies ».

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