Des dizaines de milliers de Soudanais forcés de prendre les chemins de l’exil. Depuis le 15 avril, la guerre fratricide entre le chef de l’armée soudaine, le général Abdel Fattah al-Burhane, et le dirigeant des Forces de soutien rapide (FSR), le général Mohamed Hamdane Daglo, a provoqué un exode massif de civils dont l’ampleur précise reste encore difficile à évaluer.
Plusieurs dizaines de milliers d’habitants de la région du Darfour, dans l’ouest, particulièrement touchée par les combats, ont déjà traversé la frontière tchadienne. D’autres tentent de rejoindre le Soudan du Sud, la Centrafrique, l’Égypte ou bien encore l’Éthiopie, amplifiant la crainte d’une crise migratoire majeure depuis le Soudan, pays de 45 millions d’habitants, parmi les plus grands d’Afrique.
Trêve sans effet
Dans la capitale Khartoum, de nouveaux affrontements ont été signalé vendredi 28 avril, malgré la reconduction du cessez-le-feu, annoncée la veille par l’armée du général Burhane et les Forces de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti ».
Si de nombreux pays, dont l’Arabie saoudite, la France et les États-Unis sont parvenus à rapatrier ces derniers jours leurs personnels diplomatiques et leurs ressortissants, les bombardements indiscriminés de l’armée n’ont pas cessé sur la mégalopole soudanaise. Sans aide extérieure, ses habitants font face à un dilemme cornélien : risquer leur vie sur les routes ou bien se terrer chez eux dans une situation invivable, parfois sans eau ni électricité.
« Pour sortir de la ville, il faut se déplacer sous les bombardements. Les routes ne sont plus sécurisées et les attaques à main armée sont devenues fréquentes. À cela s’ajoute la multiplication par quatre des frais de déplacement et les problèmes de pénurie d’essence » explique Omar*, journaliste soudanais dont la famille est parvenue à fuir la capitale le 26 avril.
« Dans l’est du pays, où j’habite, la situation est encore calme. Certains se réfugient ici, dans les grandes villes, à Kassala, Al-Qadarif et Port-Soudan. D’autres se dirigent vers l’Éthiopie, à l’est, l’Égypte, au nord, pour quitter le pays ».
Plus de 14 000 Soudanais et 2 000 ressortissants d’autres pays sont arrivés en Égypte depuis le début des combats, a indiqué, jeudi, le ministère égyptien des Affaires étrangères. L’Organisation internationale des migrations (OIM) de l’ONU a, pour sa part, comptabilisé plus de 3 500 personnes ayant fui le pays par la frontière éthiopienne au cours des deux dernières semaines.
« Course contre la montre » au Tchad
Autre point chaud du conflit soudanais, la région du Darfour, à l’ouest : El-Geneina, sa capitale occidentale, a connu ces derniers jours une recrudescence d’attaques contre les civils, dans cette zone en proie à des tensions intercommunautaires récurrentes.
Plus de 20 000 Soudanais ont rejoint le Tchad lors des dix premiers jours des affrontements, selon l’ONU, malgré la fermeture de la frontière décrétée par N’Djamena au début du conflit, le 15 avril.
Le pays, qui a déjà accueilli de nombreux soudanais du Darfour fuyant le génocide entre 2003 et 2010, compte aujourd’hui encore quelque 400 000 réfugiés soudanais sur son sol, répartis dans une douzaine de camps.
Dans les villages frontaliers de Koufroun, Midjiguilta et Dizé Birte, où sont arrivés ces derniers jours la plupart des exilés, les organisations humanitaires tentent d’apporter une aide d’urgence en fournissant eau, vivres, soins ainsi que des solutions d’abris temporaires.
Nous sommes engagés « dans une course contre la montre », souligne Jérôme Merlin, représentant adjoint de l’agence des réfugiés de l’ONU (HCR) au Tchad, appelant la communauté internationale à l’aide. « Dans deux mois, peut-être moins, débutera la saison des pluies avec la formation de ouadis, de grandes rivières, et il deviendra très difficile d’aider les personnes dans ce contexte ».
Retours « prématurés » au Soudan du Sud
Alors que les mouvements migratoires s’intensifient, la frontière sud-soudanaise voit elle aussi affluer les civils fuyant la guerre. Au moins 7 000 personnes ont été recensées par le poste frontière de Joda, dans l’est du pays.
« Ces personnes viennent de différents endroits au Soudan. Elles ont voyagé en bus ou par leur propre moyen de transport » explique Faith Kasina, représentante du HCR installée à Nairobi, qui coordonne la réponse humanitaire. « Elles ont décidé de retourner dans leur pays car elles y ont des liens familiaux, bien qu’elles soient le plus souvent parties pour des raisons de sécurité » souligne-t-elle.
Depuis 2013, le Soudan du Sud s’enlise dans une guerre civile opposant le gouvernement du président Salva Kiir à une rébellion dirigée par l’ancien vice-président Riek Machar.
Dans un communiqué publié le 26 avril, le chef du HCR, Filippo Grandi, a exprimé son inquiétude pour ces Sud-Soudanais désormais « contraints de rentrer prématurément chez eux dans une profonde incertitude ».
Migration exponentielle ?
Deux semaines après le début du conflit au Soudan, les affrontements continuent et le rapport de force entre l’armée régulière et les paramilitaires demeure incertain. Officiellement, la trêve conclue lundi sous l’égide des États-Unis et de l’Arabie saoudite reste de mise. Mais ce cessez-le-feu, qui devait permettre « l’ouverture de couloirs humanitaires et la facilitation du mouvement des civils » n’a jusqu’ici pas été respecté.
« Il y a dans la capitale Khartoum et dans la région de El-Geneina, au Darfour, deux problèmes bien distincts qui freinent l’exode des Soudanais » souligne Claire Nicolet, responsable des opérations au Soudan pour Médecins sans frontières. « À Khartoum, il est très difficile de quitter la ville, mais une fois à l’extérieur, la situation devient plus facile. Autour de la capitale régionale du Darfour, ce sont au contraire les routes qui sont très dangereuses. Il faut environ une heure pour rejoindre la frontière depuis El-Geneina, mais ce trajet est actuellement impraticable ».
À la frontière du Tchad, l’équipe du HCR fait le même constat, tablant sur une forte augmentation des arrivées.
« La plupart des Soudanais qui ont jusqu’ici rejoint le Tchad viennent des villages proches de la frontière, à quelques kilomètres seulement » explique Jérôme Merlin du HCR. En cas d’accalmie des combats « nous nous attendons à un afflux beaucoup plus important » alerte-t-il.
Face à cette crise en devenir, L’Union africaine a appelé, jeudi, les voisins du Soudan et leurs partenaires internationaux à « faciliter le transit » des civils fuyant les combats « sans entrave ».
*Le nom a été changé à la demande de l’intéressé